L'actualité de demain : LA MACHINE EST DEVENUE FOLLE, par François Leclerc

Billet invité.

Décidément, du haut de son PIB qui avoisine les 0,2% de celui de la zone euro, Chypre fera date dans les annales. Pas encore adopté, son plan de sauvetage s’annonce comme le plus invraisemblable de toute la série, qui compte déjà quelques spécimens. Il a néanmoins été entériné à Dublin par les ministres des finances, alors qu’il est clairement injouable. C’est pire que dans les cas du Portugal, de la Grèce et de l’Irlande, dont les sauvetages reposaient sur des projections financières qui se sont révélées ensuite hautement fantaisistes. Là, c’est d’entrée de jeu et cela montre à quel point les dirigeants politiques européens sont totalement dépassés par les événements.

Six milliards d’euros de besoins de financement supplémentaires à la charge de Chypre sont soudainement apparus dans les documents officiels, suscitant quelques légitimes interrogations. 7 milliards devaient être trouvés qui sont devenus 13 milliards, ce n’est pas de la menue monnaie. Le commissaire Olli Rehn a été commis d’office pour apporter aux comptes ses incontestables lumières. Ces milliards correspondent, a-t-il expliqué, « aux besoins bruts du pays, auxquels s’ajoute un matelas financier pour faire face à des évolutions budgétaires inattendues et aux besoins du secteur bancaire », car il est difficile de faire des prévisions a-t-il fait valoir, ce que l’on ne saurait pour une fois lui reprocher.

On est néanmoins peu avancé et amené à faire quelques hypothèses. Le plus simple serait de penser que les experts ont, dans leur sagesse éprouvée, pris en compte la récession du feu de Dieu dans laquelle le pays allait être plongé, prenant pour une fois de la marge sur les prévisions budgétaires. Quitte à dire qu’elle sera totalement insuffisante. Avec comme conséquence, l’aide européenne er du FMI étant plafonnée à 10 milliards d’euros en raison de la solvabilité du pays, d’accroître la charge financière reposant sur l’économie chypriote, ce qui n’améliorera pas cette dernière. On nage en plein délire.

Une autre hypothèse, plus tortueuse, concerne le dossier de la restructuration des banques et s’appuie sur l’idée que la sortie de capitaux russes qui n’ont pas déjà choisi la liberté est inévitable – si ce n’est même prévue – déséquilibrant à nouveau la Bank of Cyprus, une fois la liquidation de Laiki opérée. Cette hypothèse s’appuie sur l’étonnant changement d’attitude des autorités russes qui a été enregistrée, pouvant accréditer l’idée que des garanties leur auraient été données. On en a vu d’autres.

Les deux hypothèses ne sont bien entendu pas incompatibles. Cumulées, elles envoient irrémédiablement Chypre au tapis. Les croix s’alignent au champ d’honneur. On ne voit pas par quel miracle les Chypriotes pourraient apporter les 13 milliards d’euros – soit 75% du PIB – qu’ils sont censés dégager. Ni croire aux prévisions de la commission qui annoncent sans sourciller un redémarrage économique…. en 2015.

A Lisbonne, où le gouvernement a décidé de copier le modèle grec à la grande inquiétude de son voisin espagnol – qui voudrait bien ne pas emprunter le même chemin – la récession s’approfondit et le chômage grandit. On constate avec effarement que la machine est devenue folle. Soucieux de donner des « garanties »  et de négocier au mieux un hypothétique retour sur le marché, le gouvernement annonce de nouvelles coupes dans les crédits de l’éducation, de la santé et de la sécurité sociale.

Ces équipes politiques savent que leur sort est lié à la politique qu’ils poursuivent envers et contre tout, bien que celle-ci donne tous les signes de ne pas fonctionner. Elles s’enivrent de leur propre discours et de leur idéologie libérale en circuit fermé. Le prochain Conseil européen se penchera sur l’évasion fiscale, apprend-on. C’est d’actualité et l’on ne boudera pas notre plaisir si des avancées significatives interviennent, mais cette décision que vient d’annoncer Herman Van Rompuy a toutes les apparences d’une manœuvre de diversion. Car l’Europe continue de s’enfoncer dans la récession et rien, à part quelques constructions sémantiques du genre « il n’y a qu’une ligne politique, celle du redressement » (Jean-Marc Ayrault), n’y fait obstacle. C’est-àdire bien peu de chose.

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VIENT DE PARAITRE : « LA CRISE N’EST PAS UNE FATALITÉ » – 280 pages, 13 €.

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